L’auteur y retrace la genèse de « Carré dans carré », la fameuse sculpture de Theo Van Doesburg, conçue dans le cadre de sa participation à un prix artistique. Celui-ci, organisé en 1917 par la ville de Leeuwarden, visait à l’érection d’une fontaine sur la place de la gare de la capitale frisonne. Le règlement de ce concours fixait en onze points les consignes et exigences auxquelles les participants devaient se soumettre : précisions sur le coût maximum de l’œuvre et le montant alloué au vainqueur, liste détaillée des différents éléments plastiques et écrits à soumettre au jury, informations quant au mode de transmission (anonyme) de ces pièces… Cette organisation très cadrée devait viser à garantir aussi bien la transparence du jury que la motivation des contributeurs.
Pour autant, la proposition qui fut finalement retenue en mars 1918, celle de Theo Van Doesburg, s’écartait de la commande initiale puisqu’il ne s’agissait pas d’une fontaine. L’artiste, en effet, n’aimait guère l’eau, lui préférant l’élément solide ; il avait ainsi pensé sa sculpture comme un bloc de sérénité minérale au milieu d’une zone très vivante, destinée à apaiser par contraste la foule active arpentant la place de la gare.
« Carré dans carré » ne négligeait cependant pas le mouvement, et avait été conçue, pour ainsi dire, « du point de vue du voyageur ». Celui-ci, selon qu’il soit en train d’arriver ou sur le départ, voit en effet le même lieu symbolique – la place de la gare – selon des perspectives et des états différents. Inspiré par ses propres expériences de voyage, Van Doesburg avait imaginé une œuvre au sein de laquelle des points de vue multiples se trouveraient imbriqués. Cela rejoint ses écrits théoriques sur l’art sculptural, dans lesquels il explique qu’un monument ne saurait être « complet » qu’à condition qu’une importance équivalente soit donnée aux quatre côtés. L’avant ne doit donc pas dominer, mais avoir une importance égale à celle des autres côtés.
Le spectateur-voyageur peut alors faire l’expérience des espaces et volumes multiples de l’œuvre. Comptant parmi les premières sculptures abstraites, « Carré dans carré » se présentait malgré son apparente sobriété comme une œuvre hautement sensorielle et novatrice, par sa conception interne mais aussi via le lien essentiel qu’elle entretenait avec son environnement. Van Doesburg devait être parfaitement conscient de ce caractère avant-gardiste, lui qui écrivit à son ami l’écrivain et poète Antony Kok, lui apprenant que sa proposition avait été primée, « C’est fou hein ? » (ʽGek, hè ?ʼ).
S’il est une place de la gare que Theo Van Doesburg connaissait bien, plutôt que celle de Leeuwarden, c’est bien sûr celle de Leyde, où il s’est montré si prolifique. C’est pourquoi l’article de Geertrui Marks se conclut sur un appel du professeur Joosten à ce que « Carré dans carré » revive dans la cité qui a vu naître De Stijl.
Les archives présentées dans cet article, outre leur valeur historique, revêtent ainsi un intérêt des plus concrets, puisqu’ils constituent une base de travail hautement utile pour mener à bien ce projet. À commencer par les quelques photographies de maquettes ayant traversé les années, qui constituent une source d’informations essentielle pour la reconstruction de l’œuvre. Comme il ne reste malheureusement aucune trace de l’envoi fait en 1917 par Theo Van Doesburg à la ville de Leeuwarden, ces quelques documents, auxquels s’ajoute également un plan, sont des outils précieux pour établir les principes techniques à mettre en œuvre pour ressusciter la sculpture de Van Doesburg.
Reposant sur le principe d’un découpage à partir d’une base cubique et sur de savants rapports de proportionnalité, le « Carré dans carré » imaginé par Theo Van Doesburg est la preuve que, d’une forme aussi élémentaire que le carré, l’on peut tirer un monument à la gloire durable.
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